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en guerre
Extrait de EN GUERRE, Verticales, en librairie depuis le 16 août
Apparu en 1969 sous la plume de l’Américain Harold Bradley, repris en 1974 par le psychanalyste Herbert Freudenberger puis dans un sens inédit par la psychologue Christina Maslach, le terme burn-out demeure longtemps circonscrit à la sphère académique. Ce n’est qu’à l’aube du troisième millénaire, poursuit Wikipédia, que via des supports de grande visibilité comme les revues de santé, les hebdomadaires de psychologie aux ventes exponentielles, les magazines féminins aux tirages jalousés, les mensuels de philosophie sauvés de la faillite par leur spécialisation dans le développement personnel, les séries télé américaines de la troisième génération épandues sur la planète par les plateformes de vidéo, ce n’est qu’à ce moment donc que le terme burn-out s’injecte dans le langage courant, au point d’y rivaliser avec le terme dépression et de s’imposer à l’esprit de Louisa pour nommer la pente comportementale de son compagnon depuis juin.
Verbalisation spontanée qu’avalise le tableau de symptômes qui synthétise la page Internet titrée Burn-out l’explosion silencieuse consultée par elle le 12 août à 23h32. La plupart recoupent ses observations quotidiennes : fatigue chronique, pensées péjoratives, propos cyniques, insomnies, irritabilité accrue, repli, estime de soi en berne, alimentation erratique, rediffusions d’Alerte à Malibu. Quant à la baisse des activités récréatives signalée en colonne 2, elle éclaire assez bien la fréquence sexuelle de son couple, passée de quotidienne à hebdomadaire au cours de la séquence estivale où d’ordinaire elle redouble, puis d’hebdomadaire à inexistante à partir de la période dite de reprise, bien qu’elle ne corresponde pour aucun des deux à une reprise, l’une n’ayant pas pris de congés, l’autre n’ayant pas pris de travail.
Prenant acte de ce que Cristiano ne réagissait plus aux stimuli érotiques dispensés dans l’incidence de la cohabitation, elle a plusieurs fois tâché d’y mettre du sien. Y mettre du sien est l’expression qu’elle utiliserait si elle racontait les aléas de sa sexualité domestique à sa copine Latifa. Louisa dirait aussi : s’occuper de lui. Ou : faire ce qu’il faut. Faire ce qu’il faut et qui suffisait mais ne suffit plus. Cristiano la regarde faire ce qu’il faut deux minutes d’un œil qu’il voudrait moins morne, puis l’écarte d’un geste tendre pour aller s’avachir ailleurs.
Peu à peu cette manifeste absence d’envie lui passe l’envie d’agir contre. Des deux énergies, celle de plus basse intensité a absorbé l’autre, comme un fainéant enrôlerait dans sa sieste un sportif.
De l’affaissement de Cristiano, sa désertion de la salle de musculation Moving express est moins la cause que la conséquence. Plus il se sent faible et moins il a envie de se fortifier. La chair amollie de ses biceps et triceps le désole, mais qu’est-ce qu’il y peut ?
Moyennant quoi burn-out ne convient plus. Cristiano ne brûle pas, il s’éteint. Et tant s’en faut qu’il souffre de la saturation professionnelle qu’évoque un tutoriel de bien-être en finlandais sous-titré. Mais Louisa ne dispose pas du bore-out, au marketing moins performant à cause de sa moindre efficacité phonique, pour acter verbalement son intuition. Elle est donc condamnée à former des phrases de son cru. En bipant un Millenium tome 2 dans le quartier F de l’entrepôt Amazon où elle s’esquinte le dos, il lui vient que Cristiano est plutôt saturé de non-travail. Or pour lui fils de son père le travail est tout. Enlevez le travail il ne reste rien.
Sa compagne pourrait mal le prendre.
Cristiano n’a pas non plus utilisé le forfait de trois rendez-vous psy compris dans le lot du plan social. Les psys c’est pour les femmes. Pour les femmes ou les types pas nets, les types pas droits dans leur froc, les intellos. Dans son entourage il n’y a que sa mère qui ait vu un psy un, et ça n’a rien changé à son humeur. Elle est demeurée joyeuse comme la pluie.
Louisa propose de laisser la mère en question dans sa cuisine, et rapporte ce qu’elle a retenu d’un autre tutoriel : les dépressifs d’aujourd’hui sont les gagnants de demain.
Je suis pas dépressif, s’insurge Cristiano
Ça va c’est pas une maladie honteuse non plus, le reassure Louisa
Pour Cristiano, si. Comme les hémorroïdes. Ou les troubles de l’érection. La dépression est la maladie des gens faibles que la meute s’ils naissaient loups déclarerait infondés à vivre.
Puisque Cristiano refuse d’être associé à ce mot comme il refuserait un tee-shirt rose, puisque selon lui la voie thérapeutique est un cul-de-sac, puisqu’il ne sort que pour dégourdir sa Honda, Louisa toujours souple infléchit sa stratégie. Elle lui montre des sites de recherche d’emploi. Comme ça, il se débarrasse des intermédiaires entre le travail et lui, ceux-là mêmes dont il a dit la veille qu’il les réunirait bien dans un A320 qu’il crasherait sur une montagne comme l’autre taré allemand.
Et toi tu te crashes avec ? a demandé Louisa
Moi je saute avant, a informé Critiano
Louisa se garde d’entendre dans cette projection un projet, dans ce fantasme un lapsus. Pour une fois que Cristiano l’écoute elle doit pousser son avantage. Il faut battre le fer et elle a oublié la suite de l’expression. Elle explique que les sites de recherche d’emploi sont conçus pour des gens entre parenthèses pas malins. Un enfant pourrait y surfer. Un autiste. Il n’y a qu’à cliquer où c’est indiqué et après se laisser porter. Tiens là par exemple ils proposent un entretien gratuit avec un expert en management du chômage.
Cristiano s’est toujours tenu à distance d’Internet, il ne sait jamais où donner du clic, la profusion de l’offre lui tourne la tête, une tâche à la fois a toujours dit son père, on n’a que deux mains. Il ne se connecte que pour écouter du métal au casque, ayant tôt renoncé à convertir Louisa à la musique qui lui met les poils. Tant pis pour elle, elle ne sait pas ce qu’elle perd. Enfin si elle sait un peu. Au tout début elle a accepté de le suivre au Metal Fest de Chaulnes, car un couple exige des concessions. Elle a serré les dents une heure et promis au retour qu’on ne l’y reprendrait plus, pas plus qu’on ne risque de trouver Cristiano au bord d’un ring où elle exposerait son joli petit nez aux poings d’une sauvage à laquelle il ne se retiendrait pas longtemps de mettre une rouste.
Louisa propose d’utiliser un logiciel qui verrouille tous les sites non présélectionnés. Comme ça on ne se laisse pas dériver vers n’importe quoi tu vois ?
Il voit et pourrait se fâcher. Pourrait trouver vexante cette offre d’assistance. Jusqu’à preuve du contraire, il ne fait pas partie de ces gens qui vivent de la générosité des autres. On est devenu une merde mais on peut encore se torcher tout seul.
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Molecules
323 Commentaires
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#ClitTestPass et #ClitTestFail pour la scène du don dans ton En guerre, François
(si tu me dis que tu piges pas de quoi je cause, je te saute dessus: t’es prévenu.)
[Impressions et remarques au 2/3 du roman]
Les parties s’équilibrent parfaitement bien. On est pas loin du burlesque et pourtant l’élément central est tragique. L’absurde étant notre condition. J’ai donc voyagé dans ton roman social l’esprit intranquille. Traversée successivement par des émotions contrastées et un sentiment de mal-être, de nausée face à un monde zombi. Merci de cette expérience unique.
PS : Après la dépolitisation, je serais bien tentée de placer la peur du déclassement comme la seconde raison d’un tel naufrage, non ?
[A la moitié du roman,]
Puis, cette dissection objective opérée, le remède viendra ici par la RUPTURE. Non pas par la rencontre entre Romain et Louisa mais par celle, première, brève, violente, accidentelle entre un voleur et un bobo. Les deux mondes s’entrechoquent. Un mur tombe pour Romain. Il rencontrera Louisa ce soir là.
Les personnages s’incarnent alors. Les relations s’intensifient. La vie jaillit.
Pour moi, ton meilleur roman. Mais que fait la critique ? (quasi absente lors de sa sortie semble t il)
non, pas si absente
roman plutot beaucoup et bien commenté
pas vue mais j’avais effectivement lu l’article mentionné ici (Plumes d’aile et mauvaises graines) et la rejoins : la microsociologie de ce roman relève du grand art postpunk Sourire
Cette facture est la tienne. On adore ou déteste, j’imagine.
D’ailleurs, je serais curieuse de savoir comment a été perçue ta lecture-performance Neuf moyens infaillibles de changer le monde au théâtre du rond point. Une part du public semblait décontenancée, non?
PS : Je poursuis sur Une certaine inquiétude* mais vois qu’il n’y a pas de page consacrée à ce livre ici. C’est voulu ou contraint, j’imagine. Dommage
Je n’ai pas trouvé que le public ait l’air décontenancé. Si ce n’est au début, le temps de comprendre la teneur.
En guerre a été bien reçu, je n’ai pas souvenir de mauvaises critiques.
Ce sont les questions posées après lecture qui me le laissent penser ; ca restait très en deçà d’un public-qui-fréquente-les-théâtres, non ?
Pour le roman En guerre : c’est vrai, je n’ai pas lu de mauvaises critiques mais en ai peu lues aussi. Ce qui m’étonnait.
Il y a peu d’espace pour la critique littéraire. Et de moins en moins
Au rond point : dur d’intervenir après une conf de cette nature.
S’il reste si peu de place pour parler de l’actu littéraire, on est encore plus mal qu’on ne l’imagine. (Pour l’anecdote et préciser ce que je n’avais que brièvement évoqué dans un post Dis moi, je constate et m’étonne toujours un peu qu’alors que je ne suis qu’une lectrice distraite, ne pas pouvoir lire pendant plusieurs mois consécutifs provoque chez moi une phase de boulimie de lecture, ensuite. Le besoin est physique, corporel, puissant. Je sature. Mon corps sature.) Lire nous extrayant de ce flux toxique actuel.
Quant au Rond point : c’est vrai qu’après une telle conf, difficile d’intervenir. Mais pour les qq uns qui s’y sont risqués (et exception faite de ton amie, habituée à parler en public), je trouve que c’était particulièrement ennuyeux ou hors sujet. Sourire
*L’astérisque laissé sans contenu par erreur, j’en profite pour compléter autrement le dernier post puisque je viens de lire les 45 premières pages et la dernière lettre d’une Certaine Inquiétude. (Choix qui peut paraître étonnant pour un catho de gauche. Mais non puisque nous en sommes tous là, en fait) Simplement pour te rappeler brièvement ici que tous les miracles des Evangiles sont précédés d’une demande
*Avant une lecture plus attentive d’Une certaine inquiétude, un dernier post avec ce témoignage de Piero Sapu des Garçons bouchers
https://www.youtube.com/watch?v=S_y9_-IW7ME&feature=youtu.be
(durée : 25 mn)
Bon, pour lui, sa conversion a été radicale !
Sur Une certaine inquiétude, j’adresse ici un lien vers la thèse de François Gosselin traitant de la Crédibilité de l’idée de Dieu, histoire de compléter et réactualiser ces questions qui datent un peu 🙂 https://ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/22770/3/Gosselin_Jean-Francois_2011_these.pdf
Autre post pour croiser Une certaine inquiétude et Autonomes, voici une synthèse sur les nouvelles religions dont le yoga 🙂
https://www.youtube.com/watch?v=FzY2rSiv_vU
l’expert n’est pas neutre mais qui l’est ?
(durée 50 mn)