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MISERE DE L’INTELLECTUEL, EPISODE 73

Pour préciser encore ce que j’entends par intellectuel, et en quoi j’ai du mal à m’associer à ce terme, la mise à disposition du texte ci-dessous me semble intéressante. Paru dans Transfuge en novembre 2012, il revient, non sur l’affaire Millet, mais sur la tribune publiée par Annie Ernaux dans le monde en réponse à Millet. Tribune que les écrivains, et seulement eux, avaient été conviés à signer.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/09/10/le-pamphlet-de-richard-millet-deshonore-la-litterature_1758011_3232.html
Le nombre de signataires courageux fit plaisir à voir, et presque aussi peur qu’un régime fasciste.
Je n’avais pas signé, Joy non plus –sans concertation. J’expliquais pourquoi dans ce texte que personne ne m’avait demandé. Je m’y parlais à moi-même, étant à peu près certain de tomber d’accord avec moi. Ceux qui le liront ici seraient bien aimables d’en faire autant.

Millet/Ernaux : Un partout.

Il y a de drôles de phrases dans la tribune irréprochable, forcément irréprochable, fournie par Annie Ernaux au Monde, en réponse à Richard Millet. De drôles d’expressions. « Cohésion sociale », par exemple. Le texte de Richard Millet, Eloge littéraire d’Anders Breivik, serait « porteur de menaces pour la cohésion sociale ».

On avait cru comprendre qu’Ernaux se situait à la gauche de la gauche. On a du être mal renseigné. Une pensée issue de Marx, ou simplement de Bourdieu, ne saurait se soucier de la cohésion d’en ensemble dont elle n’a de cesse de démontrer l’iniquité structurelle. Si la cohésion est incohérente, il n’y a plus qu’à œuvrer à la décomposer. En fait Ernaux ne parle pas depuis la gauche, mais depuis la République, notre maison commune, et c’est ce qui explique ses propos si communs.

Dans le contexte de cette réponse à un écrivain qualifié de « fasciste », où la « cohésion sociale » désigne la paix entre les communautés, et s’oppose à la « logique d’exclusion » (au racisme) de Millet, Ernaux s’exprime même comme une élue de la République. Il n’est pas un des termes de cette tribune qu’on s’étonnerait de trouver dans la bouche d’un maire de banlieue après des émeutes, ou d’un ministre de l’Intérieur après un crime antisémite. Question à mille francs : qui a dénoncé récemment « un acte politique à visée destructrice des valeurs de notre démocratie ? ». Un président de conseil régional réagissant au saccage d’un Macdo par des agriculteurs autogestionnaires ? Non, l’auteure de La place et de Passion simple.

Qu’est-ce qu’il lui prend ? Il lui prend qu’elle endosse les habits de l’intellectuel à la française. Descendant lointain d’un Platon rêvant d’un roi philosophe, ou a minima d’un roi éclairé par un philosophe, l’intellectuel estime que la santé de la patrie (ou de la nation, ou du pays, ou du peuple, selon les sensibilités) est son affaire. Il se sent porteur d’une responsabilité, et au nom d’elle intervient sur une actualité chaude, pompier des âmes : « Il est encore temps d’agir afin que n’advienne jamais cette réalité ». Agir signifie ici dispenser publiquement une parole responsable. Ernaux a parlé, elle a agi. Dans le Monde. C’est son rôle, se dit-elle.

Il se trouve juste que Millet adopte exactement la même geste verbale. Lui aussi a pris la parole — commis trois pamphlets — parce qu’il considère qu’il y a urgence à se porter au secours de la communauté à quoi il lie son destin. Qu’il se réfère à la communauté nationale (ou occidentale, ou raciale), et Ernaux à la communauté sociale (ou citoyenne, ou républicaine), les ancre dans des camps opposés, mais leur postures énonciatives sont identiques. Millet pense que le multiculturalisme précipite le déclin de l’Occident, Ernaux pense que pas du tout, au contraire ; Millet parle de la terreur antiraciste, Ernaux est terrifiée par le racisme ; Millet se sent un blanc minoritaire dans le RER, Ernaux ne se sent pas « menacée par l’existence des autres qui n’ont pas ma couleur de peau » dans les rues de Cergy où elle habite. Mais tous deux jugent nécessaire de penser quelque chose du fait migratoire, et encore plus nécessaire de communiquer cette pensée à leurs semblables. Un troisième – Jourde, sur le site de l’Obs – intervient dans le débat parce qu’il pense aussi des choses. Il pense que Millet est un salaud mais que quand même une certaine immigration pose problème à la communauté. C’est son opinion et il tenait à l’exprimer.

On est habitué à cette parade rituelle ; à la regarder passer d’un œil chaque année plus morne. Là on se serait seulement assoupi si Ernaux, à l’unisson de Millet, n’avait mêlé la littérature à cette affaire. Non qu’on se sente la vocation de se porter au secours de la littérature — ça c’est le sacerdoce de nos deux intellectuels, comme on verra. Mais en titrant sa tribune « Déshonneur la littérature », Ernaux suggère qu’elle s’exprime, non depuis la gauche, non depuis la République, non depuis l’Assemblée nationale, non depuis sa chaire d’intellectuelle responsable, mais depuis la littérature. Là il y a un problème. Il y a confusion des mandats.

Ses mots ne sont pas des mots d’écrivain, mais d’intellectuel. Ce n’est pas pareil. Que Sartre et d’autres aient alterné les deux positions ne signifie pas qu’elles soient interchangeables. Ernaux postule que si. L’écrivain serait un superintellectuel, une supervigie, voué entre tous à réagir à « une déclaration incroyable dont la gravité devrait interpeller tous les écrivains ». C’est pourquoi seuls des pairs ont été conviés à signer. C’est la littérature que Millet déshonore — encore un drôle de terme, la littérature veut-elle être honorable ? C’est pour laver son honneur qu’on se doit d’intervenir dans des pages où chaque jour des experts réfléchissent à la guerre en Syrie et au pacte budgétaire.

Fusion de l’intellectuel et de l’écrivain. Confusion, confusion.

Intellectuel et écrivain, ce n’est pas pareil. Non que l’écrivain ne pense pas. La littérature, fictionnelle ou non, ça pense. Ça ne pense pas en trois parties / trois sous-parties, ça pense dans l’immanence, ça pense comme on bêche une terre, parfois comme pense une patte de chat essayant de stabiliser une balle de ping-pong. Mais ça pense.

C’est le contraire, alors. C’est en endossant le rôle d’intellectuel qu’Ernaux a renoncé à la pensée.

L’intellectuel advient par des dispositifs d’énonciation qui excluent la pensée. Il endosse la responsabilité du bien commun, or la pensée se fout du bien commun. La pensée est farouchement irresponsable. La pensée n’est responsable que devant la pensée. Elle n’a pour limites que la justesse, la pertinence, la vérité — un deleuzien ajouterait : la puissance, l’intensité —, et tant pis si cette orientation la désaxe de la « cohésion sociale » ou de quelque autre souci politique-policier. Si Bakounine, Foucault, Nabokov, et tant d’autres, s’étaient souciés de cohésion sociale et de ménager les « valeurs de notre démocratie », ils n’auraient ni écrit ni publié le dixième de leurs pages. Et il arriverait rarement que des pensées aient de l’avance sur les convictions admises à une époque donnée.

Ernaux dira que Millet n’a pas de l’avance mais du retard – réactionnaire. Elle le dira sans argumenter. Elle n’est pas venue penser mais juger, donner un verdict, et donc distinguer entre bien et mal. La position responsable de l’intellectuel attelle ses mots à la morale, bœufs dès lors astreints à tirer la lourde charrette de l’exemplarité. Judiciaire et législative — même si elle n’appelle pas du tout au licenciement de Millet, comme le postule Patrick Besson en appelant cette tribune « pétition » et « délateurs » ces signataires —, l’intervention d’Ernaux est avant tout de nature morale. Ce qui l’amène immanquablement à dresser les tréteaux de la scène matricielle de l’humanisme contemporain : d’un coté la Bête fécondée dans le ventre des « années trente », de l’autre les Justes qui la condamnent, car au moins ainsi il ne sera pas dit « qu’on s’est tu ». Pièce édifiante, jouée non-stop depuis 60 ans, comme La Cantatrice chauve au Théâtre de la Huchette.

Désolé de le dire aussi bêtement, mais la pensée est par-delà bien et mal. Du moins commence-t-elle par faucher les piliers de la morale commune. Par remettre les compteurs à zéro. Exemple : pourquoi ne tuerais-je point ? N’y a-t-il pas une vertu de l’assassinat ? Si on ne repose pas les questions en ces termes, on n’écrit pas Crime et châtiment – ou on s’emmerde en le lisant.

Dans son texte, Ernaux ironise sur la possibilité, ouverte par une parole non redevable à la morale, d’un « éloge de Marc Dutroux ». Ironie amère, bien sûr : selon elle il va sans dire qu’un éloge de Dutroux n’est pas envisageable. Or, pour la pensée, rien ne va sans dire. Se saisissant de ce sujet, la pensée ne fera bien le boulot que si elle fait droit à l’hypothèse qu’il y a un point de puissance chez Dutroux. Elle pourra même s’en tenir là, oser cette conclusion, puis la soumettre à la lecture d’autrui par une publication. A ce moment, de deux choses l’une : soit le texte tombe sous le coup de la loi, et le droit s’en occupe ; soit la loi laisse dire, et il revient aux lecteurs de le questionner, critiquer, réfuter.

La morale est un étage intermédiaire entre le pénal et la pensée. Sa musique attitrée est l’indignation. Ernaux est indignée. La lecture de Millet lui inspire « colère, dégout effroi ». Et elle s’en tient là, comme fait sa famille politique lorsqu’elle est effarouchée par les réacs « sans tabou » (= islamophobes), leur donnant une occasion en or de resservir leur refrain postillonnant sur la gauche devenue un ramassis de bien-pensants exclamatifs.

La pensée n’est pas exclamative. Millet diagnostique la mort de la littérature et lie ce décès au multiculturalisme ? Pas de quoi crier. Pourquoi s’effrayer d’un agencement théorique séculaire perpétué par tant de plumitifs tout à fait respectés ? Bien des livres contemporains diffusent l’idée que la langue se détériore sous l’assaut de la plèbe, en précisant plus ou moins, et c’est ce plus ou moins qui réglera le volume exclamatif des humanistes, que cette plèbe est surtout composée de noirs et d’arabes. Un agencement théorique, oui. Un agencement d’extrême-droite, si on veut absolument le qualifier. Mais le qualifier ne suffira ni à le supprimer, ni à le penser.

Un agencement, ça s’observe, s’examine. Calmement. Sifflotant comme un maçon, on s’approche du bâtiment, et on plisse les yeux pour mieux voir. Tiens, les jointures sont grossières. Tiens, les poutres sont d’acier et pèsent trois tonnes, soudées entre elles avec un fer pachydermique. Visiblement on y est allé au bulldozer. Races, société, littérature, décadence, occident, orient, etc. Millet travaille dans le gros, et le préconise : surtout qu’on ne fasse pas dans le détail, surtout qu’on tire dans le tas comme il prétend l’avoir fait au Liban. Ecrire, ça doit être au napalm ; écrire est une entreprise totalisante, dont la fusillade réussie d’un Breivik peut dès lors figurer le point de perfection. S’avance là une conception viriliste, martiale, impériale, de la littérature. A quoi l’on aimerait opposer, hors tribune, loin du Monde, une littérature qui dissémine, détaille, étiole, liquéfie ; qui ruine la société plutôt qu’elle ne rêve sa recomposition, sa restauration. Une littérature qui atomise l’UN.

Une littérature, qui, en première précaution, atomise la littérature considérée comme UNE. Car c’est bien le plus indiscutable et indiscuté présupposé de nos deux intellectuels : il y a LA littérature, bloc de granit insécable. Meurtrie par le multiculturalisme pour Millet, déshonorée par l’idée que le multiculturalisme la meurtrit selon Ernaux. A l’un et l’autre, on demanderait volontiers des précisions. Littérature, mais encore ? Littérature ça commence et ça finit où ? Tu dis Littérature, tu dis quoi ? La Littérature a à voir avec le Mal, c’est-à-dire ? Mal de tête, mal d’amour, tuberculose ? Ils ne répondront pas. Préciser serait diviser, et la littérature est indivisible. Une et indivisible comme la République. Comme la Société.

Une fois posées des abstractions comme LA littérature et LA société, on peut enfiler ces perles creuses dans n’importe quel collier. Collier de droite : Anders Breivik est le symptôme de la décadence de la société elle-même consubstantielle à la décadence de la littérature elle-même liée à la colonisation de l’Occident par des cultures extra-européennes. Collier de gauche : la littérature s’enrichit de la diversité multiculturelle et concourt à la consolidation de la cohésion sociale et des valeurs de la démocratie. Colliers politiquement opposés et stylistiquement appariés. Rhétoriquement homogènes.

En produisant ses récits subjectifs, précis, pointilleux depuis 40 ans, Ernaux a beaucoup mieux donné le change au verbe totalisant des pamphlétaires droitiers qu’en produisant une tribune qui se situe, comme sa cible, dans l’espace fantasmé où Société et Littérature auraient un destin organique commun. L’espace où Tout est dans Tout. Du Un à tous les bouts. Du Un partout, balle au centre, et quelle ligne de fuite pour s’exfiltrer de ce match nul ?

97 Commentaires

  1. Sartre c’est l’intellectuel ultime, nan ?

    Ben justement j’m’en vas vous raconter une ‘tite histoire.
    Entre 1958 et 1961 Sartre publie trois préfaces, longues, denses, serrées, étoffées, ultra-littéraires.
    Le traître d’André Gorz en 1958
    Aden Arabie de Paul Nizan en 1960
    Les damnés de la terre de Franz Fanon en 1961
    C’est bien du Sartre (j’ai un truc à dire sur le Fanon mais un autre jour OK ?) super bien écrit, brillantissime, esxistentiel, qui fait réfléchir tout en secouant les puces et les neurones, et enfin, à la fois (c’est ça la littérature engagée) puissamment contemporain et qu’on peut sans problème et avec bonheur relire aujourd’hui
    Bref.
    ce qui m’amuse et m’interpelle c’est la destinée posthume de ces textes;
    Nizan c’est le bréviaire de tous les révoltés, des gauchistes et contestataires de tout poil ; pour le dire un peu connement tout ce qui est à gauche de Hollande (ça fait du monde) le lit, le relit, le cite l’utilise, le martèle, l’apprend par coeur (non ça y a que moi) bref le fait vivre.
    Fanon c’est le contraire; comme Sartre s’emporte un peu et fait, les bons lecteurs l’ont noté (Alice Cherki, David Macey, Thierry Saunier) de la surenchère par rapport à l’auteur, tout ce qui à droite de Hollande (ça en fait du monde) le cite et l’utilise pour dire : beurk Sartre irresponsable criminel, apologiste de la violence etc.
    La préface de Gorz, qui n’a pas ces points d’appui politiques, d’intellectuel(s) – et qui au passage comporte de belles pages sur ceux ci, et sur ceux qui les détestent et pourquoi – est purement et simplement tombé dans l’oubli. Non seulement chez les idéologues de toute plume mais par contagion même chez les sartriens. Quand on lit les Temps Modernes depuis 10 ou 15 ans, il est invisible.

    Voilà. L’intellectuel c’est Sartre je veux bien.
    Mais faut compter aussi avec ça : de lui on reprend ce qui le fige dans cette position d’intellecteul. La preuve ? Ben j’ai cité deux fois Hollande pour évoquer Nizan et Fanon, ça s’imposait pas vraiment.

  2. rectificatif :Annie Ernaux : je n’ai pas lu Les Armoires vides, mais La Femme gelée

  3. J’aime bien relire.C’est étonnant comme un texte peut bouger. Vivant, quoi. Ernaux/Millet, un partout,chaque (re)lecture fournit,produit.
    Ca aussi, dans les commentaires : ». Pour penser, soyons précis.
    Ce qui me mène à l’exercice de la raison que tu préconises, Acratie. Moi c’est que je l’appelle la pensée. La pensée s’outille de la raison, de la logique, mais aussi du corps, des faits bruts, de l’intuition, de la reverie, de l’imagination, et surtout, surtout, du nez -flair de Nietzsche. En cela la pensée appelle une forme non-dissertative, plus littéraire. Et par exemple une forme fragmentaire-poétique comme chez ce même Nietzsche. Ou une forme dialoguée-narrative, comme chez Diderot. Ou carrément du récit. »
    ça continue de m’éclairer et de me nourrir.merci.

  4. @Anne Laure : Ogien propose plusieurs situations de ce type dans son livre L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur (je ne sais plus quoi). C’est intéressant !
    Je sauve le mec avec une sale gueule.
    NON, pas sur la tête !!!

    • @patricia: Moi aussi, je laisse mourir Maya.

      • @: ça me rappelle un cauchemard : moi dans l’eau avec mes deux fils et lequel je sauve, aide, porte ? réponse : choix très difficile, j’ai finalement choisi le plus jeune. peut-être parce qu’il est le plus jeune, nage le moins bien mais peut-être aussi parce que c’est (peut-être) mon préféré. c’est horrible d’avoir ce doute : avoir un enfant préféré

    • Je sauve le mec avec une sale gueule, sauf Eric Naulleau

  5. Au début de l’article, irréprochable forcément irréprochable me ramène au sublime forcément sublime de Duras. Petit rappel wikipédia, (pas trouvé l’intégral en ligne)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Sublime,_forcément_sublime_Christine_V.
    En 85, Duras écrit pour Libé une tribune sur la mort du petit Grégory Villemin dans lequel elle pointe la culpabilité de la mère, qu’elle nomme Christine V. initiale indiquant ainsi qu’elle en fait un personnage : « Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison […] On l’a tué dans la douceur ou dans un amour devenu fou. ». L’article parait le 17 juillet, Christine Villemin est inculpée depuis le 5 juillet. Je me souviens très précisément de l’instant où j’ai lu cette tribune, c’était vraiment troublant de lire ce texte-là à ce moment-là.
    Il y avait un fait concret, suivi d’une inculpation bien réelle et un écrivain, Duras, à qui Serge July demande alors un article pour Libé. Et que fait Duras ? elle ne fait pas du reportage elle fait de la littérature à partir d’un fait divers comme elle fait de la littérature à partir de sa propre réalité. Elle prend cette mère, la désigne comme coupable tout en la défendant, explique comment Christine V. s’est perdue en donnant la vie, jusqu’à s’autoriser à la retirer. Mère opprimée comme elles le sont toutes, dit-elle, Duras donne à son texte une portée universelle et elle conclut « Elle est encore seule dans la solitude, là où sont encore les femmes du fond de la terre, du noir, afin qu’elles restent telles qu’elles étaient avant, reléguées dans la matérialité de la matière. Christine V. est sublime. Forcément sublime. ». Ce n’est pas un Eloge de Marc D. mais il faut rappeler qu’on n’a rien demandé à Duras concernant Dutroux.
    L’article parait sous la forme d’une tribune et suscite des réactions indignées, la polémique s’engage, on accuse Duras de faute morale. Tout en admettant avoir été imprudente, elle répond : « ce n’est pas un reportage, la littérature, ce n’est pas un récit non plus, c’est une transgression de soi vers l’autre, une prise en charge de l’autre jusqu’à son crime, nu, entier, pas défiguré par la morale. » Par delà le bien et le mal donc, confronter chacun à ce qu’il est tenté de rejeter de lui-même, c’est toute l’histoire de Duras.

    Pourquoi je rapporte ça ?
    Parce que irréprochable forcément irréprochable : je suppose que ce n’est pas par hasard ?
    Parce que je trouve que la réponse de Duras « …la littérature (…) c’est une transgression de soi vers l’autre, une prise en charge de l’autre jusqu’à son crime, nu, entier, pas défiguré par la morale. » ajoute à ce qui nous est donné à penser ici.
    Parce que sur ce qu’elle écrit, elle, Duras, je pense que sa réponse est très juste – bien que son article l’entraine au-delà du cas Christine V. dans des digressions assez disproportionnées, même pour l’époque, sur une universelle oppression des femmes comme cause de tous les maux.
    Parce que dans cette affaire les oppositions droite-gauche sont moins marquées que dans l’affaire Millet (pas lu Millet) mais la morale est tout aussi présente.

    • @Acratie: Bien vu pour la référence, j’avais pas percuté. Attention à ne pas tomber dans une glorification de la littérature, qui serait sacrée et planerait au-dessus des Hommes. Dans le cas présent, Duras aurait peut-être pu changer les noms ou quelques faits. Cela aurait perdu en provocation, mais pas forcément en puissance.

    • @Acratie: » Elle est encore seule dans la solitude, là où sont encore les femmes du fond de la terre, du noir, afin qu’elles restent telles qu’elles étaient avant, reléguées dans la matérialité de la matière. Christine V. est sublime. Forcément sublime. ». Ca pourrait être un extrait d’une nouvelle ou d’un roman. Je me suis toujours demandé pourquoi Duras n’avait pas fait un récit de cette histoire, puisque la perception qu’elle a de cet événement l’y conduit spontanément ? Elle s’est trompée de forme (la tribune) et de support (Libé). La confusion vient de là et engendre la polémique.

      • @Acratie: Duras était déjà en train d’écrire dans sa tête. Elle a raté l’occasion de faire -peut-être- un super bouquin à partir de ce fait-divers.

      • @Charles: @Jérémy: Je ne suis pas sûre du tout que Duras cherchait à provoquer, elle n’en avait rien à faire de la provoc, elle dit s’être laissée dépasser par « un emportement de l’écriture », et je crois bien qu’il faut avoir cette expression en mémoire concernant cet article. De son point de vue d’écrivain Duras va jusqu’à affirmer que cette affaire ne regarde pas la justice. Je comprends cela si elle veut dire qu’il n’y a que la littérature qui puisse explorer de l’intérieur le crime d’infanticide dans ce qu’il a de monstrueux ou d’irrationnel, sans s’occuper de le juger, sans le parasitage du jugement.
        Quant à changer les noms, les lieux… appeler Christine V par son initiale la sort du réel, Duras la place ainsi, par un indice que nul n’est censé ignorer, au niveau d’un de ses personnages (Lol V Stein par exemple). Est-ce que Duras envisageait la portée de ce texte publié dans un journal ? est-ce qu’elle s’en préoccupait ? est-ce que la Diva en elle s’en préoccupait ?

        Selon wikipédia l’article est une commande de libé, elle écrivait régulièrement dans libé à l’époque. Ce que j’ai pu lire des suites de l’affaire indique qu’elle aurait très mal vécu la polémique, peut-être à cause de cela qu’elle n’a pas écrit après sur cette affaire.

        En recherchant cet article dans mes archives j’ai trouvé un entretien Duras-Platini de 87, sacré morceau.

        • @Acratie: « De son point de vue d’écrivain Duras va jusqu’à affirmer que cette affaire ne regarde pas la justice. Je comprends cela si elle veut dire qu’il n’y a que la littérature qui puisse explorer de l’intérieur le crime d’infanticide dans ce qu’il a de monstrueux ou d’irrationnel, sans s’occuper de le juger, sans le parasitage du jugement. »
          C’est de cela dont il faut se garder, à mon avis. La littérature n’est pas au-dessus des Hommes. La justice a pour mission de maintenir l’ordre, ie faire en sorte que les gens ne s’entretuent pas. Ce n’est pas le boulot de la littérature.

          • @Charles: mais dire que cette affaire ne regarde pas la justice, n’est-ce pas aussi, pour elle, de la littérature ? Elle prévient le lecteur qu’elle écrit sans mesure, sans s’occuper de l’équilibre de la balance ou de la sanction du glaive.

          • Suis bien d’accord avec toi Charles, la Littérature n’est pas exempté de bien se tenir.
            En revanche la justice ne sert pas qu’à « maintenir l’ordre » (même si factuellement c’est souvent qu’elle fait). Elle sert aussi parfois à… rendre justice. Une fille a été harcelée par son patron pendant deux ans, elle porte plainte, la justice lui donne raison, ça ne sert pas l’ordre, ça sert la justice et rétablit l’égalité.

          • @François: Il faut comprendre « ordre » comme « paix sociale ». Dans ton cas, cette paix est rompue car on atteint à l’intégrité d’un membre du corps social sans qu’il ait manifesté de consentement.

          • On voit bien, alors, que le terme d’ordre n’est pas adéquat.

        • @Acratie: Je n’ai jamais écrit qu’elle cherchait à provoquer. Je pense simplement que « cet emportement de l’écriture », elle aurait mieux faire d’en constituer la matière d’un récit. L’article était peut-être une commande, mais elle aurait pu refuser. La polémique est moins intéressante que le potentiel roman qui aurait pu advenir.

          • En ce qui concerne les réactions à cet article, j’ai toujours aimé la formule de Desproges : « l’apologiste sénile des infanticides ruraux ». Formellement, ça claque bien.

          • @Jérémy:
            maladroite : j’ai répondu dans le même post à toi et à Charles, qui suggérait la provoc.
            Quant à refaire l’histoire de l’article qui aurait pu être un roman qui aurait été moins polémique si Duras avait été plus clairvoyante, ouh là là !

          • @Jérémy: Tu l’as rêvé, Philippe Besson l’a fait : « L’enfant d’octobre » chez Grasset. Pas lu donc no comment. Il a été attaqué et condamné à indemniser la famille.
            http://www.babelio.com/livres/Besson-Lenfant-doctobre/32579

          • @Acratie: Pas de problème. Ouh la la, oui. Mais Marguerite n’aurait pas dû avancer ses pions !

          • @Acratie: Eh oui, bien sûr, Besson l’a fait. Merci pour le lien.

          • Pour en revenir de départ je ne pensais pas à Duras avec « irréprochable, forcément irréprochable ». En général je pense peu à Duras. Et surtout pas à ce truc sur Christine Villemin, que j’ai toujours trouvé obscène.
            Tiens par exemple mettons-nous en situation. Demain j’appelle Bourmeau, de Libé, et je lui dis : j’ai une tribune en tête sur l’affaire du bijoutier, tu la publies? Il me dit oui ok super. Et dedans j’explique que la victime de l’affaire de la bijouterie de Nice, le braqueur (oui je sais c’est dur mais il faut se souvenir qu’en fait ce n’est pas le bijoutier qui est mort) a voulu sa mort. Qu’il a voulu qu’on lui tire dessus. J’appelle le texte : suicidaire, forcément suicidaire Et je réinterprète tout le parcours de ce multirécidiviste comme une grande épopée pour en finir. Eh bien les parents dudit seront très contents de lire ça. Comme les parents de Christine ont du etre très contents d’apprendre qu’une grandécrivaine déclarait à 300000 lecteurs que leur fille était infanticide.

          • Je ne voulais pas trop me mêler de la discute, parce que je confusionne pas mal entre politique/littérature/justice, peur de dire n’importe quoi.
            La littérature n’est pas au dessus des hommes, tout à fait mon cher Charles.
            Le souci c’ est que certains le croient.
            Parce que la littérature se dit décrire au mieux le réel ? Parce que cela nous fait une preuve solide pour argumenter lors d’un débat politique ? Ce qui est écrit fait sérieux, ce qui est écrit fait vrai.
            Hier je suis tombée , hasard , sur le p’tit gars qui a écrit France orange mécanique, Laurent Obertone, interrogé sur arte.
            Son cas est intéressant. Son livre était sous-titré nul n’est censé ignorer la réalité.C’est comique.
            C’est dangereux aussi.
            La mère Le pen s’empare de l’objet pour dire que concrètement elle a de quoi mettre en œuvre sa propagande fasciste.
            Sauf que le p’tit gars, apparemment son idée c’ était plutôt de faire une étude criminologiste, de faire un essai sur un constat de la société. Il disait qu’il ne souhaitait pas faire de la politique.
            Maintenant il sort un livre sur le vilain norvégien. Un récit. Toujours dans le souci de la justesse criminologiste, ici dans le souci d’expliquer un passage à l’acte.
            C’est assez troublant de voir comme il y a une certaine difficulté de la part des lecteurs à ne pas faire de confusion entre la pensée de l’écrivain et la pensée du personnage.
            On peut dire, si on prend ceci du côté de la crimino, que c’ est tout à fait idiot. Ce n’est pas parce qu’on se questionne sur la mise en place d’éléments qui favorisent le passage à l’acte qu’on adhère à la justification de celui-ci.
            C’est au contraire une démarche assez scientifiques qui cherche à comprendre les causes dans le but de réduire la violence.

          • C’est peut-être tout le sentimentalisme accroché à la littérature qui la rend si trouble, qui lui cause du tort, me dis-je en ce matin du 19 septembre 2013.

          • @François Bégaudeau:
            Comme les parents de Christine ont du etre très contents d’apprendre qu’une grandécrivaine déclarait à 300000 lecteurs que leur fille était infanticide.

            Suite à cet article qui s’intitulait « Le droit à l’innocence » (faut-il voir là une habileté de July ?) Christine Villemin a porté plainte pour atteinte à la présomption d’innocence et à son droit à l’image mais elle a été déboutée en 1994.

          • justice de merde

          • @<François
            Rassure-toi
            mais va comprendre la subtilité, Besson, lui, a été condamné pour "l'enfant d'octobre".

          • hypothèse : la justice a un peu changé
            on a vu se multiplier ce genre d’affaires
            les écrivains sont un peu sortis de l’impunité
            bonne ou mauvaise chose, je suis partagé

  6. Je l’avais déjà dit au moment de sa publication mais texte remarquable au sens propre. Je n’ai pas tout à fait la même vision mais je pense pouvoir malgré tout être d’accord avec 80% du texte.
    J’émets une hypothèse : est-ce que l’une des origines de ce battage, de cette posture n’est pas à rechercher en France dans l’après Collaboration, l’Epuration? Ce moment où les français ont décidé qu’on pouvait condamner à mort des gens dont la plume a couché avec l’ennemi (Brasillach, notamment)? Où la réconciliation était tellement importante qu’elle a dû s’étendre aux mots des journalistes-écrivains?

    • Ne néglige pas que ce texte essaie de démontrer que la posture rhétorique-morale est présente autant chez Millet que chez Ernaux. Et donc autant chez les collabos que chez les purgateurs. Rebatet était très moral à sa manière. Il voulait le bien de la nation. Millet condamne l’immoralité générale et en appelle à un sursaut de la nation. Ernaux pareil, dans l’autre sens. Mais c’est la même. Cette figure de l’intellectuel moral transcende les clivages. Tout cela vient de la fusion trop connue, et si française, entre politique et littérature. Qui fait que les écrivains d’ici ne peuvent pas s’empecher de se vivre comme des consciences nationales, et que nos présidents se revent parfois écrivains.
      Ca part sans doute du dix-huitième, mais surtout de l’affaire dreyfus, ou d’un coté comme de l’autre, on prétend intervenir au nom de la morale : une morale patriotique d’un coté, une morale humaniste de l’autre. Mais de la morale partout. Une restriction morale du champ de la pensée.

      • @François Bégaudeau: Oui tu as raison, l’intellectuel est né avec l’affaire Dreyfus. Mais l’épisode de l’épuration me semble être un point d’acmé, et je ne considère que cela soit plus de droite que de gauche, tu as entièrement raison de poser l’équivalence des postures.

      • @François Bégaudeau: Néanmoins, il est tout de même compliqué de blâmer les dreyfusards : Zola a eu raison de faire ce qu’il a fait, en dépit de ce que ça a engendré. Surtout que Zola est intervenu au nom de la Raison, davantage que de la morale. Surtout que sa prise de position relève en bonne partie du journalisme en ce qu’il se reposait sur des faits, des preuves qui avaient été négligés. Zola ne voulait pas sauver le monde ou la société dans cette affaire, contrairement aux intellectuels des générations futures, mais un homme contre un procès inéquitable (tout comme Voltaire avec Callas). Difficile d’être contre.

        • @Charles: Ok pour le procès inéquitable, mais « Zola est intervenu au nom de la Raison », c’est une phrase qui me fait un peu peur.

          • @Jérémy: C’était pourtant les termes du débat. Zola s’appuie sur la raison, qui n’est pas une idée, mais une démarche intellectuelle, un processus scientifique. Il dit que Dreyfus n’est pas coupable car c’est rationnellement pas tenable. Rien d’effrayant là-dedans. Le camp opposé lui reproche de faire passer la raison devant d’autres considération (l’honneur militaire, la nation etc…).

          • @Charles: Oui, je comprends bien. Je ne discute pas la nécessité du combat de Zola, évidemment, d’autant plus qu’il s’appuie sur une démarche d’investigation irréprochable. Mais c’est l’invocation d’une espèce d’allégorie -la Raison-, au nom de laquelle on se croit investi d’une légitimité, qui me fait un peu peur. Ce qui rejoint la posture d’Annie Ernaux. Un intellectuel dit humaniste gagnerait à ne pas s’auto-légitimer au nom de la raison.

        • @Jérémy@Charles: Je contesterais plutôt le fait que Charles oppose Raison et morale « Zola est intervenu au nom de la Raison, davantage que de la morale. », or me semble-t-il la Raison chez les humanistes s’appuie sur le présupposé que les hommes sont naturellement capables de morale.
          A quoi obéissons-nous quand la raison parle en nous ?

          • @Acratie: Oui, bonne question.

          • @Acratie: Pas sûr de comprendre ce que tu veux dire que tu écris que la « Raison chez les humanistes s’appuie sur le présupposé que les hommes sont naturellement capables de morale. »
            On obéit à une exigence de vérité quand la raison parle en nous, à un souci d’objectivité. Faire passer la raison avant d’autres considérations n’est pas dénué d’arrières-pensées morales, je te l’accorde.

          • @Acratie: Et bien nous reviendrons sur fred lordon et la société des affects, je l’écoutais encore hier sur France culture.
            La raison est difficilement dissociable des affects.
            Politique/affects, création littéraire/affects, le procès contre mon voisin parce que son mur dépasse de 5 cm sur mon terrain/affects.
            La raison devrait entrer dans un mécanisme permanent d’auto-analyse de ses affects pour mieux s’en détacher. Un peu comme si on se mettait en mode autiste.
            Mais autisme d’asperger hein, pas les autres, parce que sinon tu fais n’importe quoi, tu griffes tu mords tu craches partout comme le diable de tasmanie qui ne sait se tenir.

          • @ Charles:
            Je pensais à Zola puisque c’était le sujet et plus précisément à ce que tu avais écrit : Le camp opposé lui reproche de faire passer la raison devant d’autres considération (l’honneur militaire, la nation etc…). Ces autres considérations sont des dogmes, des croyances, alors que la raison de Zola repose sur des faits, des investigations, mais ce qui le met en marche, c’est la morale et la légitimité qu’il lui reconnait. C’est que oppose les humanistes laïques aux humanistes religieux. Voir si ça les différencie ?

          • @<Anne-Laure : Je ne suis pas experte en Raison, j'ai une entorse. C'est la raison de mon surinvestissement ici à l'horizontal. La raison indissociable des affects, je crois bien, oui.

          • @Anne-laure et acratie: Dans quelle émission de France cul as-tu entendu Fred Lordon?
            Raison indissociable des affects? Peut-être. Mais je ne suis pas sûr qu’elle soit l’apanage des humanistes, les anti-humanistes n’y sont pas étrangers, peut-être contestent-ils son culte mais ils ne la rejettent pas.

          • @<charles: Il était question d'humanisme en référence à Jérémy sur Zola : "Un intellectuel dit humaniste gagnerait à ne pas s’auto-légitimer au nom de la raison." Qui sont pour toi les anti humanistes, tu penses aux purs marxistes ?

          • @Acratie: Je pensais à Nietzsche, aux libertaires, à une partie des penseurs de la French Theory (Foucault par exemple).

          • @<Charles: J'ai une réponse assez spontanée à ton post, prends la donc comme telle: perso. Ceux que tu nommes là s'opposent à l'assujetissement, à la souveraineté, et la Raison majuscule est souveraine. C'était le sens de ma question : A quoi obéissons-nous quand la Raison parle en nous ?
            Se poser cette question c'est une vigilance, c'est la vigilance de Ruwen Ogien par exemple (encore lui parce qu'il a écrit des livres lisibles, mais on les pas attendus pour penser). Etre vigilant pour se détourner du systématisme, du confort, de la logique, de l'harmonie de tout ce dont la Raison associée à la morale républicaine sont sournoisement porteuses. Ceci dit, questionner la Raison c'est déjà s'engager dans la raison, la raison sans majuscule.
            La raison minuscule c'est pour moi celle qui permet par exemple de questionner les droits et les devoirs et tout ce qui ce qui tombe sous le sens, tout ce qu’on appelle les valeurs sans jamais préciser (l’implicite fait partie de la Raison majuscule). Donc questionner sur cet exemple simple : pourquoi aurions des devoirs parce que nous avons des droits ? est-ce que ce n’est pas justement la pure négation des droits d’y associer des devoirs ? y a-t-il une véritable équivalence entre les droits et les devoirs ? sommes-nous tous égaux devant les droits et les devoirs ? Comme tu vois, au fil des questions l’exigence diminue… mais peu importe, l’idée de la raison minuscule c’est de retourner ce que la Raison majuscule nous donne pour acquis.

          • @Acratie: Tu as raison, je n’aurais pas dû écrire Raison mais raison. C’était sans doute pour me moquer un peu de Zola ou une façon d’introduire les antidreyfusards qui écrivaient Raison pour la disqualifier. je suis entièrement d’accord avec toi sinon, sur l’usage de la raison, sur la méfiance qu’on doit avoir face à son instrumentalisation. Pas d’accord en revanche sur le découplage des droits et des devoirs, tu t’en serais douté(e) (je pense que la réciprocité, le principe même du contrat est fondamental pour qu’on ne s’entretue pas).

          • Par parenthèse : il y a, factuellement, des droits en échange de quoi la société n’impose nul devoir. Par exemple le droit au soin. Cette question théorique est donc résolue par les faits. Il faudrait cesser de la poser en théorie, et donc disjoindre droits et devoirs. Prendre, un par un un, les « devoirs » qu’une société prescrit à ses citoyens, et voir à chaque fois ce qu’on en pense. Prendre aussi un par un les droits revendiqués ou existants, et voir ce qu’on en pense. Au passage ça ferait enfin taire la litanie sur « ahlalala maintenant tout le monde réclame des droits ». Je ne sais pas qui est tout le monde, je ne sais pas ce que veut dire « des droits ». Pour penser, soyons précis.
            Ce qui me mène à l’exercice de la raison que tu préconises, Acratie. Moi c’est que je l’appelle la pensée. La pensée s’outille de la raison, de la logique, mais aussi du corps, des faits bruts, de l’intuition, de la reverie, de l’imagination, et surtout, surtout, du nez -flair de Nietzsche. En cela la pensée appelle une forme non-dissertative, plus littéraire. Et par exemple une forme fragmentaire-poétique comme chez ce même Nietzsche. Ou une forme dialoguée-narrative, comme chez Diderot. Ou carrément du récit.

            Je reviens sur Dreyfus. La ligne de front est tracée, en l’occurrence, entre raison d’Etat et raison humaniste. On peut préférer l’une ou l’autre, mais dans les deux cas, ce sont des positions de principe. Entre lesquels ce sont les faits qui ont fini par trancher. Mais l’aspect factuel, comme souvent en France, était très secondaire. On se positionnait sur des principes.

          • Je l’ai entendu fredo lordon.
            Où il parle de son livre dont il parlait avec Judith machin quelque part sur ce site. Un petit dialogue de 28 minutes, c’ est jouable.
            J’aime bien son débit verbal, rapide et saccadé.

          • @Anne-laure: Merci pour le lien, j’ai écouté c’est très intéressant. Faudra que je lise « la société des affects ».

      • Pour éviter le décalque, est-ce que l’intellectuel humaniste n’a pas tout intérêt à oser la distanciation ironique ? Est-ce qu’Annie Ernaux, dont la pensée se fonde assez largement sur l’indignation et le ressentiment (« Je voulais venger les gens de ma race » a-t-elle quand même dit un jour) serait capable d’oser un récit voltairien ? Est-ce qu’Annie Ernaux est capable de distance ? Je ne remets pas en cause son talent d’écrivain, mais il me semble qu’il y a chez elle un fond de colère qui est prompt à se réveiller. Il suffit de la lire ou d’écouter ses interviews. Pas étonnant qu’il y ait cette réaction contre Millet, indépendamment de ce que celui-ci peut dire ou écrire.

        • @Jérémy: Attention avec l’intellectuel humaniste. Je ne résiste pas à la tentation de copier ici la fin d’un entretien entre Julia Kristéva et Daniel Salvatore Schiffer (à lire sur Médiapart).
          D.S.S. : Comment toutefois définir, de manière plus précise et concrète, l’humanisme ?
          J.K. : L’humanisme est un grand point d’interrogation à l’endroit du plus grand sérieux. C’est au sein de la tradition européenne en ce qu’elle a de plus élevé – extraordinaire synthèse des civilisations grecque, juive et chrétienne – qu’il convient de le rechercher. Cet essai, « Pulsions du temps », se veut donc un pari sur le temps de ce que je nomme le « corpus mysticum ». J’ose parier là, en effet, sur la culture européenne, la seule apte, peut-être, à refonder, tout en lui redonnant ses lettres de noblesse, l’humanisme, présent et à venir !
          N.B. : Le titre de cet entretien, « Oser l’humanisme aujourd’hui ! », est aussi celui de la conférence que Julia Kristeva prononcera, ce 17 septembre 2013, lors de la remise, à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, du « Prix Littéraire Paris-Liège »

          • @Acratie: Plus ethno-centré, tu meurs.

          • quelle bouillie

        • @Jérémy: Annie Ernaux : j’ai beaucoup aimé La Place, pour moi c’est un livre important,qui rend bien compte du ressenti/ressentiment des gens de ne pas en être,définitivement, d’avoir un morceau de salade entre les dents de devant.Le goût. Avoir ou ne pas avoir l’air.
          Une Femme, moins : il m’a semblé qu’elle resservait un peu le plat. J’ai décroché avec Passion Simple,que j’ai trouvé anecdotique.Et un jour, à la télévision, présentant un livre de photos,le désordre des sous vêtements ,par terre, quand elle faisait l’amour avec son mec. Lequel mec était là, en cuir, pas à l’aise.
          Je ne trouve pas qu’Annie Ernaux soit une intellectuelle, elle avait quelque chose à dire, elle l’a dit: La Place. Peut-être l’écrivain d’un seul livre. Je me demande.

          • Je ne crois pas du tout qu’Annie Ernaux soit une intellectuelle
            mais dans ce texte sur Millet, elle adopte une posture d’intellectuelle, au pire sens du terme -abstraction, moralisme, pompe

          • @patricia: @François :oui, il y a là de sa part un manque de lucidité, qui va pour moi avec l’affaiblissement de ses livres.
            Elle s’y croit.

          • @patricia: Oui, je suis d’accord pour « La place ». « Les armoires vides », aussi, c’est fort.

          • L’écrivain de pas beaucoup d’idées en tout cas.
            Honte de la trahison de classe, difficulté d’etre une femme, et sinon?

          • @patricia: @François :Je dirais qu’elle a UNE idée. Et pour moi ce n’est pas la trahison . C’est l’analyse de la prise de conscience par une enfant,puis une jeune fille,qu’elle est marquée, comme une marque d’infamie,par sa classe sociale. Que c’est quelque chose qui se vit partout et tout le temps. Qui produit pour elle de la honte,et à l’égard des autres,comme un mélange d’admiration et de ressentiment. Ses parents ne le ressentent pas comme elle, ils ont le nez dans un quotidien difficile, c’est elle
            dont le regard se détache,et qui les voit,qui se voit d’une place acquise par sa réussite à l’école. Ecrire, c’est dire le scandale de la honte qu’elle ressent, honte d’eux, honte d’elle. Ressentiment plutôt que culpabilité. La culpabilité est du côté d’une société qui produit le fait que des gens ne sont pas assez bien,ne se sentent pas assez bien.
            C’est ce qu’Annie Ernaux écrit dans La Place, juste et fort.C’est le noyau dur, c’est son livre. Elle le redit, plus faiblement, dans Une femme, dans La Honte.
            Elle écrit aussi sur ce que vit une femme de son époque, Les Armoires vides(c’est le souvenir que j’en ai, Jérémy, je l’ai lu il y a longtemps),dans son livre sur son avortement. Les femmes de sa génération peuvent s’y identifier,mais elle n’apporte rien qui la sorte du lot des écrivains
            Qui parlent de ces sujets, c’est du féminisme de copines.
            Et elle écrit sur sa vie,ses amours,par ex Passion Simple, L’Occupation,le livre de photos : là pour moi il n’y a plus rien. Pire, si elle use du titre d’écrivain pour s’exprimer sur des sujets du jour.
            Je suis probablement péremptoire et injuste. Si je la rencontrais, je lui dirais , sincèrement,tout le bien que je pense de La Place. J’oublierais le reste.
            En écrivant, là, je me demande si ce n’est pas la même chose avec Christine Angot : elle aussi n’a qu’une chose à dire . Son noyau dur, c’est Une Semaine de vacances. Puissant, juste. Après,j’ai lu L’Inceste, qu’elle a écrit avant : pour moi c’est une ébauche de l’autre. Et ses autres livres, en particulier sur ses amours,n’apportent rien . J’ai écouté cet été sur France culture sa lecture avec Gérard Desarthe d’extraits de ses livres,qu’ils donnaient à Avignon :je
            n’ai pas tenu une émission entière, pour moi c’était de l’anecdotique qui se gonflait pour faire intense, insupportable.
            Ecrivains d’un seul livre ? Pourquoi pas ?

          • Suis pas très d’accord sur Angot, qui a quand même appréhendé pas mal de réalités différentes, et par exemple des amants assez singuliers dans deux de ses récents livres.
            Suis davantage d’accord sur Ernaux, même si je l’ai beaucoup moins lue. En tout cas il y aurait à redire sur sa sociologie, trop figée, trop complaisante/flagellante. Pas ma place parce que je viens de la classe ouvrière? Mais bon dieu elle l’a trouvée, sa place. ET l’écoutant je trouve toujours qu’elle a parfaitement assimilé l’intonation fat des bourgeois cultivés.
            La dernière fille qui m’a dit qu’elle avait le sentiment qu’on lui dénierait toute place, étant issue de la classe ouvrière, c’est Aurélie Filippetti.

          • @patricia: @François : ce que je trouve juste et fort, c’est ce qu’elle ressent quand elle est gamine et adolescente,les sensations de faute de goût,le malaise quand ses copines viennent manger chez elle,le pas comme il faut,les clés qui manquent,l’aisance supposée des autres et elle qui est attentive à tout,gênée d’avance.
            Après, adulte, elle est prof, ces questions ne se posent plus. C’est pour ça que je trouve qu’elle n’a plus rien à dire qui justifie d’en faire des livres,elle est une femme comme les autres,et elle s’est bien glissée dans le costume,alors elle fonctionne,à vide.

          • Oui c’est bien l’impression que ça me fait. Son roman Les années condensant bien cette pente vers le vide.

          • @patricia: Les Années, pas acheté pas lu : impression que je savais déjà tout. Mais je connais plusieurs personnes qui ont dit qu’elle y avait retrouvé la force des débuts. Est-ce que d’autres sitistes l’ont lu?

          • Roman très surestimé, très faible.
            Me démange depuis longtemps d’en produire une analyse
            Comme déjà dit, ou pas, Deux singes s’est beaucoup écrit en pensant aux Années, qui me semblait totalement démissionner, par paresse et facilité et manque de jus, devant l’ampleur de son projet affiché. J’ai même failli l’appeler Les idées.

          • @patricia: Les années, oui, j’ai trouvé aussi qu’il était comparable à La place ou Les armoires vides. Mais n’est-ce pas seulement parce qu’il se situe dans les mêmes lieux et époque ? J’ai un souvenir assez ému d’avoir partagé cette lecture avec ma mère qui avait retrouvé dans ce livre une part de sa propre vie. Elle m’a été reconnaissante de le lui avoir offert, on a beaucoup parlé, conversation objective mais aussi réconciliatrice, moment suffisamment exceptionnel pour que je garde un bon souvenir de cette lecture. Ceci étant, je ne chercherai à convaincre personne.

  7. j’aime le(s) message(s) proposé(s) par les illustrations
    ici la planche dinosaure/humain
    on comprend bien qui/ce qui est dinosaure, qui est « gros » comme grossier, « gros » comme majoritaire, qui est « éteint », a disparu
    caricature douce, douce caricature
    dans l’autre planche pelleteuse/MOC, on avait déjà l’humain petit face à la machine
    je me demande face à quoi on va retrouver l’humain dans le prochain épisode, à quelque chose de gros je suppose mais quoi ?
    j’ai bien aimé

    A l’un et l’autre, on demanderait volontiers des précisions. Littérature, mais encore ? Littérature ça commence et ça finit où ? Tu dis Littérature, tu dis quoi ? La Littérature a à voir avec le Mal, c’est-à-dire ? Mal de tête, mal d’amour, tuberculose ?

    et aussi

    Bien des livres contemporains diffusent l’idée que la langue se détériore sous l’assaut de la plèbe, en précisant plus ou moins, et c’est ce plus ou moins qui réglera le volume exclamatif des humanistes, que cette plèbe est surtout composée de noirs et d’arabes.

    • @Helene:

      la planche dinosaure/humain

      moi j’ai plutôt glissé rapide sur l’idée que homme/femme était en 2013 un débat préhistorique,

      – Tiens, à propos de quelque chose de gros – ia telephone of course – mais g aussi repris l’anti-manuel de litté de françois, chap. vers ton risque, les pages sur le style, celles de la baleine blanche,
      on y retrouve bien l’écriture j’avance- je recule un peu de françois parfois, il construit un raisonnement, le court-circuite avec l’exception qui ne confirme pas la règle et il repart un peu autrement dans le raisonnement:
      ia quand même parfois de quoi bien y perdre un peu de son temps,
      mais tant que ça fait plaise,

      • @shasheer: merci shasheer, tu as des ressources (« gros » comme dans le tube de téléphone, ça, c’est vraiment toi), je ne connaissais pas ce morceau, sympa la note ethnique
        planche dinosaure-humain, rectifié en planche dinosaure-homme/femme ; planche machine-humain, non requalifiée car pas l’ombre d’une femme sur cette planche (eh oui, c’est le MOC sur cette planche, tient son rang de célibataire !)
        on pourrait transposer ces deux planches en : l’humain face à la machine, l’humain face à l’animal, l’humain entre la machine et l’animal, jadis il était entre Dieu et l’animal, mais ce n’est pas moi qui le dit, c’est Tristan G :

        Entre le Dieu et la bête jadis, entre les machines et l’animal aujourd’hui, je suppose (joli, la supposition)…

        la suite est bien aussi :

        Je crois que l’être humain n’est jamais qu’entre-deux » à ses yeux, et qu’il le restera…

        Les lignes qui précèdent sont l’extrait dont j’ai parlé à anne-laure (pour toi aussi shash si ça t’intéresse), qui parlent humain-animal-Dieu, leur articulation possible :

        C’est bien tardivement qu’il nous a été loisible de nous comprendre parmi les animaux et de comprendre l’animalité en nous (c’est une éthologue qui parle à ce moment du roman). Nous avons découvert au crépuscule de notre histoire (j’aime pas trop le crépuscule mais comme tout le reste est intéressant) que nous étions également une espèce et qu’ils étaient également des individus, à défaut de toujours pouvoir être des personnes. Les bêtes… Nous les avons détestées et nous les avons aimées, domestiquées, torturées et caressées, nous leur avons donné des noms latins, nous avons décrit et minutieusement expliqué de quelle façon elles se comportaient, sans espoir qu’elles nous montrent jamais d’elles-mêmes ce que nous sommes, sans espoir qu’un jour, elles nous pardonnent. Nous avons saisi si tard les différences au sein d’une même espèce, l’adresse et la maladresse de chacun, la culture de plusieurs, le génie singulier de certains.
        (ici ça devient plus intéressant, on monte une marche)
        Et parfois nous avons ressenti trop fort le désir de les faire évoluer, de les entendre enfin nous parler. Car nous sommes seuls, grands bavards de la Création.
        Qui sait pourquoi nous voulûmes alors faire d’eux nos enfants ?
        Pour partie parce que en les modelant à notre image nous souhaitions devenir les dieux dont nous nous imaginions qu’ils nous avaient faits à la leur ; mais aussi parce que, en les comprenant, nous rêvions de retrouver jusqu’où et comment nous étions, comme eux, des animaux.

        il y a encore bien des choses intéressantes dites, comme l’idée d’une dette des humains envers les animaux « contractée lorsque, en évoluant, il nous a fallu les nier (les animaux), opposer notre nature à la leur » :Est-ce que nous paierons tôt ou tard cette dette qui n’existe que dans les comptes que nous tenons, et certainement pas dans ceux qu’ils ne tiennent eux jamais, entre eux ? Mais comment ? En les guidant vers nous ? En revenant vers eux ? En les laissant sans nous n’être qu’eux-mêmes ? En leur donnant des droits qu’ils ne prendront pas, indifférents ? En assumant nous-mêmes tous les devoirs, les nôtres comme les leurs ?

        • @Helene: oï oï LN,
          as-tu lu no steak?
          euh nan,
          celui de caron plutôt

          et ça c juste pour toi, une mise en abîme mais pas trop d’un outil fort peu utile pour les créneaux

          http://imageshack.us/content_round.php?page=done&l=img46/3293/t1wa.jpg

          • @shasheer: merci pour la réf pro-animalière. si je comprends bien en 2050 quand je serai là complètement rabougrie, si j’y suis encore en fait, je ne mangerai plus que végétarien. me voilà prévenue : finies les brochettes de coeur et de foie de mouton entrelardées de la graisse prise sur le ventre de l’animal et roulées dans le cumin, une tuerie(au premier comme au second degré)
            super ta photo d’un rétro. je me disais que : une photo aujourd’hui=un tableau hier et que la photo d’un rétro auj =le tableau d’un miroir hier (http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_%C3%89poux_Arnolfini)
            dans le même esprit j’ai photographié une banane dans un plat creux en pensant aux superbes natures mortes des peintres d’avant (http://givernews.com/?2007/09/01/507-nature-morte-poires-et-raisin). mon MOC a aimé la foto (que je lui ai présentée comme une « nature morte 2013 »). comme je ne peux pas te la faire voir, des mots : une banane (fruit absent des natures mortes classiques, on sait pourquoi, on sait pourquoi il fait partie aujourd’hui du « compotier familial moyen ») avec le code barre de la pesée à la superette du coin dans un tajine qui me sert de plat creux pour recevoir des fruits.
            j’ai pensé à une autre photo « vie quotidienne » à mettre en parallèle de tableaux historiques représentant des femmes en train de faire la lessive (http://ma-bourgogne.xooit.com/t623-Nos-lavandieres-en-peinture.htm) : une photo de ma machine à laver, signe distinctif une haltère grâcieusement prêtée par mon MOC pour peser sur le couvercle et éviter les débordements. comme je te vois branchée féminisme un peu plus en ce moment, je te raconte que mes grands-tantes sont formelles : la plus grosse avancée techno pour elles, ça a été la machine à laver le linge
            question : le rétroviseur, c’est une photo de toi ou une photo d’autrui ? si photo de ta main, dis-moi comment tu fais stp pour la poser sur le net et la partager

          • @helene: aloooors, l’hébergement des photos: suis vraiment pas une réf à la page pour ce type de taf, si t’as rien d’autre à te mettre sous la dent, inscris-toi sur le site avec la grenouille à cuisses couleur soleil mais depuis qu’on me l’a filé ce tuyau, il date un peu, doit y avoir beaucoup mieux

            Sinon, tu connais ce coin de la gare du nord je pense
            http://imageshack.us/scaled/thumb/20/evrx.jpg

            ma réponse à photos perso? ben of course

            tu m’imagines vraiment piquant des tofs à someone? thanks soeur, manquait pu que ça au tableau :- D

          • @shasheer: ça me va super, merci 🙂
            oh la grenouille a transformé ta photo en timbre poste, alors je ne suis pas sûre de reconnaître ce qui est dessiné sur le mur 🙂

        • @Helene: Oui alors Helene je l’ai retrouvé ton texte. Tu vois ben.
          Il y a plusieurs choses qui me gènent.
          D’abord je trouve qu’il manque des explications à propos de l’animisme. Du fait que certaines sociétés avaient placé ( et le font encore) l’animal comme porteur d’esprits vitaux.
          Faudrait de pencher sur la question du chamanisme par exemple.
          Mais d’après ce que j’en sais, les animaux portent des esprits qui ont accès à un monde invisible qui nous est bien supérieur. Supérieur dans le sens où il a une connaissance du monde vivant et de l’univers que nous ne pouvons comprendre en tant qu’esprit enfermé dans un corps d’humain. Ou alors faut prendre des substances hallucinogènes.
          Cela reste anthropocentré, je te l’ accorde, dans le sens ou les animaux portent des ancêtres humains, comme si toute la nature tournait autour de lui pour en faire le support d’une ignorance du monde.
          M’enfin, j’suis pas sûre. Si je me mets dans la peau d’un inuit je penserais que l’esprit qui anime mon malamute est celui de mon grand-père ,un humain donc, mais aussi un esprit de malamute. C’est compliqué tout ça.
          Et encore j’te raconte pas les histoires de kanaks à propos des esprits non matérialisés, esprits de la forêt qui sont à la fois des ancêtres et des enfants à naître.
          Bon.
          D’autre part :

          Nous les avons détestées et nous les avons aimées, domestiquées, torturées et caressées, nous leur avons donné des noms latins

          Nous les avons détestés, à juste raison, parce que ce n’est jamais agréable de se faire bouffer par un grizzli.
          Nous les avons domestiqués, je veux bien pour les poules et les cochons puisque nous avons eu l’idée ingénieuse de capturer vivants leurs ancêtres sauvages pour les faire se reproduire et avoir ainsi un garde manger pérenne. P’tain on est supermalins quand même. L’art de ne pas se fouler à aller à la chasse.
          Mais attention, le chien et le chat c’ est pas pareil. Nous nous sommes apprivoisés mutuellement.
          Le chien était à l’origine un loup opportuniste qui a cru bon de s’associer à nous pour avoir des restes de mammouth à grailler.
          Le chat, à peu près le même genre. Profiteur des rongeurs qui pullulaient dans nos réserves de céréales.
          Ce sont des animaux qui font exception, en cherchant bien on en trouvera d’autres, qui se sont adaptés à nos comportements.
          Le chien est très fort pour capter nos intentions, notre langage corporel, alors que le loup n’y comprend rien.
          Savais-tu que les chats à l’origine ne miaulaient pas ? Ils ne miaulaient pas pour communiquer entre eux.
          J’ai appris ça je ne sais plus où. Un scientifique sur France culture je crois.
          Ils se sont mis à miauler à force de nous côtoyer et parce que nous sommes des êtres qui réagissons lorsque des sons sortent du corps.
          Quand à l’histoire de leurs donner des noms latins, fait référence aux XVIIIème siècle où l’idée à la base il me semble était de mieux comprendre la nature pour éviter de se faire détruire par elle. Une idée plutôt lumineuse pour protéger une espèce vulnérable et assurer sa pérennité.
          Aussi je n’adhère pas à l’idée que nous avons une dette envers les animaux.
          C’est comme ça, c’ est la loi de la nature. Chacun pour soi et dieu pour tous.

          Ceci dit, ce que Tristan Gracia voulait expliquer c’ est pourquoi d’une façon générale nous nous retrouvons dans des relations complexes et absurdes avec les animaux.
          Pourquoi par exemple nous nous appliquons à préserver les espèces que nous n’avons pas encore exterminées dans des bioparcs par exemple.
          Pourquoi des gens disent préférer les animaux aux hommes.
          etc…

          • @anne-laure: et moi je t’ai retrouvé qui a retrouvé mon post, grande journée
            journée qui commence bien à la lecture de ton post bien bien bien intéressant, heureux hasard de te lancer sur la piste animalière
            l’idée de la dette des hommes envers les animaux ne me plait pas trop non plus, qui implique de s’acquitter de cette dette et la question suivante : comment le faire ? on peut penser : par la protection des espèces, par exemple. entreprise louable, visant à compenser les atteintes portées par des hommes à des animaux, viendrait rééquilibrer la situation des animaux. bonnes intentions premières de renforcer certaines espèces faiblardes mais en les protégeant on finit parfois souvent par les laisser proliférer, au détriment d’autres espèces ou de l’environnement
            je pense aux phoques de la baie de Somme (je vois mes parents cet aprem, le pourquoi de l’exemple) qui sont de plus en plus nombreux, mangent 5kg de poissons par jour : http://www.blogs-bays.com/baie-de-somme/2008/11/17/les-phoques-de-la-baie-de-somme/
            bref on croit pouvoir maîtriser la nature pour en faire un joli paradis mais on n’a pas, on ne peut pas avoir une vision d’ensemble, c’est un peu dérisoire la protection des espèces
            j’adore comment tu expliques l’histoire des hommes et des animaux, aussi tu permettras que je te cite :

            Nous les avons détestés, à juste raison, parce que ce n’est jamais agréable de se faire bouffer par un grizzli.
            Nous les avons domestiqués, je veux bien pour les poules et les cochons puisque nous avons eu l’idée ingénieuse de capturer vivants leurs ancêtres sauvages pour les faire se reproduire et avoir ainsi un garde manger pérenne. P’tain on est supermalins quand même. L’art de ne pas se fouler à aller à la chasse.
            Mais attention, le chien et le chat c’ est pas pareil. Nous nous sommes apprivoisés mutuellement.
            Le chien était à l’origine un loup opportuniste qui a cru bon de s’associer à nous pour avoir des restes de mammouth à grailler.
            Le chat, à peu près le même genre. Profiteur des rongeurs qui pullulaient dans nos réserves de céréales.
            Ce sont des animaux qui font exception, en cherchant bien on en trouvera d’autres, qui se sont adaptés à nos comportements.
            Le chien est très fort pour capter nos intentions, notre langage corporel, alors que le loup n’y comprend rien.
            Savais-tu que les chats à l’origine ne miaulaient pas ? Ils ne miaulaient pas pour communiquer entre eux.
            J’ai appris ça je ne sais plus où. Un scientifique sur France culture je crois.
            Ils se sont mis à miauler à force de nous côtoyer et parce que nous sommes des êtres qui réagissons lorsque des sons sortent du corps.
            Quand à l’histoire de leurs donner des noms latins, fait référence aux XVIIIème siècle où l’idée à la base il me semble était de mieux comprendre la nature pour éviter de se faire détruire par elle. Une idée plutôt lumineuse pour protéger une espèce vulnérable et assurer sa pérennité.

            par contre je n’ai pas compris pourquoi tu parlais d’animisme et de chamanisme ou de la culture des kanaks, que tu sembles bien connaître d’ailleurs. si c’est en relation avec cet extrait (« C’est bien tardivement qu’il nous a été loisible de nous comprendre parmi les animaux et de comprendre l’animalité en nous »), je le comprends perso comme un rapprochement à venir des hommes et des animaux alors que dans la tradition européenne on fait bien la distinction hommes-animaux en plaçant les premiers en surplomb des seconds (l’idée que les animaux n’ont pas d’âme, par exemple), rapprochement passant par la reconnaissance par les hommes de la part d’animalité en eux, de la part d’eux-même qui échappe à la civilisation pour en revenir au livre (civilisation ramassée dans le roman par : la montre, les mots, l’encyclopédie, le « rendre compte à »).

          • J’avais assez confiance en ta capacité à te retrouver.
            J’avais fini par etc parce que je n’avais plus le temps mais je voulais citer un autre exemple du rapport humain/animaux.
            Non mais parce que tu vois, ça commence par les moutons et ça finit par dévorer les petites filles.

          • Et si je parlais d’animisme c’ est parce que justement, j’avais l’impression que le point de départ de la théorie de Tristan se trouvait quelque part en Europe dans un flux de pensées judéo-chrétiennes et intellectuelles du siècle des lumières.
            Je me demande comment les gaulois, les celtes percevaient les animaux eux.

          • Et tu vois j’me disais ( pleine forme moi aujourd’hui, faut que j’me calme),il est amusant de voir ce qui s’ est passé avec l’homme blanc tout-puissant qui voulait découvrir le monde.
            Fort d’être soutenu par dieu, fort d’être un être supérieur il a mis en œuvre une démarche scientifique qui lui a permis de découvrir qu’il descendait du singe( pouf on descend d’un cran),qu’il n’avait pas le monopole de l’outil ( repouf) et de la culture ( badaboum).
            Mouais, tout ça pour se rendre compte qu’il est un animal comme les autres.
            Tu m’diras, ça n’ aura pas duré bien longtemps cette petite crise de toute-puissance, juste quelques siècles.

          • J’allais oublié de te transmettre en parallèle de l’info sur les loups, la pétition que je trouve assez déplorable, avec des commentaires de pétitionneurs sur le loup qui est un animal si magnifique c’ est vraiment trop terrible.
            Et l’extermination du cafard ? Qui prend sa défense ? Pauv’bête.

          • @anne-laure:
            ton article sur le loup m’a appris pas mal de choses sur la situation du loup en France. comme tu commences à me connaître, tu devines peut-être que ce qui attire mon attention ce sont les situations à potentiel humoristique comme :

            de l’autre côté de la frontière, en Italie, aucune mesure d’abattage n’est prévue pour une population située entre 600 et 800 individus. Ces loups italiens ne viennent cependant pas augmenter la population des loups français: une meute étant installée sur la frontière et défendant son territoire, elle bloque, en quelque sorte, le passage des autres, n’occasionnant que des échanges marginaux.

            ça me fait marrer ces loups italiens. tu crois à cette histoire ? c’est pas un remake du nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté à la frontière ?
            le fait que les chasseurs français ne savent pas chasser le loup, c’est comique aussi
            sinon j’aime autant les loups que les moutons. et les choux aussi 😉

          • Ah ouais j’sais pas comment c’ est foutu la frontière italo-française. Il y a les alpes entres les deux non? Sont p’têtes pas doués pour l’ alpinisme les loups.
            Cela me fait penser, je me demande si je les déjà raconter parce que ce n’ est pas la première fois que je parle de bestioles ici ,mais sais-tu que si on réduit le territoire des coyotes il se mettent à faire plus de petits ? Je ne sais plus trop comment ça se passe, si le nombre de petits par portée augmente ou si c’est le nombre de portées par années.
            Animal intéressant que ce nuisible américain.

          • je l’ai.Houlà pardon.

          • et raconté.De mieux en mieux, je ne te félicite pas anne-laure.

          • Sinon je repensais à la mise en situation de ruwen ogien dont parlait Acratie dans le printemps libertaire, je ne sais plus trop ce que c’ était et je n’ai pas le temps de chercher (mais bien le temps d’écrire des âneries tiens).
            Il s’agissait de se demander qui nous serions menés à sauver entre plusieurs individus si nous n’avions pas le choix.
            Par exemple, mise en situation :
            Ton animal de compagnie que tu connais depuis des années à qui tu es attaché et un type que tu ne connais pas,avec une gueule de con qui ne te revient pas, sont en train de s’enfoncer dans du sable mouvant.
            Tu ne peux en sauver qu’un seul parce que le temps que tu sauves l’un, l’autre aura disparu sous le sable.
            Qui vas-tu sauver ?

          • Et à propos du dépassement des frontières, est-ce que j’ai déjà raconté ma visite au lac de grand lieu ? C’est à côté de Nantes, une réserve naturelle protégée.
            C’est ma sœur qui a toujours de bonnes idées qui voulait y aller.
            Alors donc nous y voilà, mes sœurs mon beaufs, les gamins et moi,guidés par un jeune biologiste,genre cool attitude, cheveux longs qui s’appelait Gwenn.
            On a ricané comme des connes à cause de son prénom. Bref.On s’comprend.
            On se balade vers le lac et Gwenn nous fait le topo sur les espèces protégées et les espèces nuisibles.
            Exemple: ragondins, rats musqués, écrevisse américaines, ibis sacré = espèces importées= nuisibles.
            J’en ai appris de belles sur la différence entre les ragondins et les rats musqués (Victor disait les rats masqués, c’était marrant).
            Il nous raconte l’histoire d’un canard, à tête orange si je me souviens bien, qui venait d’ailleurs, peut-être bien d’Allemagne ou de Belgique, et qui est venu envahir le territoire.
            Il nous confie que pour réguler le système écologique ils ont fait appel à l’office de la chasse pour canarder les bestioles.
            Ils ont même eu la bonne idée de détruire les nids pour tuer le vice dans l’œuf.
            On peut dire qu’il y a comme un ministère de l’intérieur qui protège les espèces de souches françaises. Tu vois le genre ?
            C’est marrant non ?

          • @anne-laure: ah oui tu es drôle, j’adore tes histoires animalières (les loups mauvais alpinistes, les canards clandestins)
            j’aurais adoré être au lac de grand lieu avec vous, tout à fait le genre de sortie que j’adore. ma dernière sortie du genre c’était au parc animalier de Sainte Croix en plaine dans ma région : http://parcsaintecroix.com/fr/bienvenue-au-parc/
            🙂

  8. Il est toujours ce fantasme de confort, de l’opposition de deux blocs monolithiques. Rejouer jusqu’à l’assèchement une joute dont acteurs et spectateurs connaissent les tenants comme les aboutissants.
    Vous opérez cette transvaluation, un renversement, un regard neuf, un petit supplément d’âme hors morale. Pourtant à vous de définir la pensée, ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être. La votre de pensée, toute renversé et fraiche qu’elle soit, n’échappe pas à l’édification de nouvelles règles.
    Quelques soucis pour cette chère entropie nous pousserait à créer toujours plus de désordre. Mais à l’heure ou tout a été dit, que dire ? Les sentiers sont balisés. Reste à abandonner les GR touristiques pour leur préférer la petite randonnée, la cambrousse.

    • J’adhère totalement à cette métaphore des chemins de traverse. Et je crois que seul un récit est capable de bifurquer. Beaucoup plus qu’un essai. J’ai essayé de développer cette idée dans une récente chronique sur Olivier Maulin, dans Transfuge. La reporterai ici bientot.
      Sur la morale, vous avez bien raison de dire que toute pensée en produit plus ou moins une. Ce qui me parait irrecevable dans la tribune d’Ernaux, c’est qu’elle s’y pose comme gardienne de la morale commune, républicaine. Se redessine là la figure d’un intellectuel père de la nation. Ou gardien des âmes. Une sorte de super instit humaniste.
      Donc oui toute pensée est porteuse de cadres de perception qui finissent par agencer un rapport au monde, et donc sans doute une morale. Mais la moindre des choses, c’est que cette morale ne soit pas un décalque de l’échelle de valeurs officielle. Sinon autant se taire et laisser parler Vincent Peillon.

    • @François Bégaudeau: @MaximeA: Concernant la morale et Peillon je me permets de conseiller le livre de Ruwen Ogien, La guerre aux pauvres commence à l’école, qui constitue une bonne mise en garde.

  9. J’aime !

  10. Douce acceptation pour le texte, mais quelque chose m’interpelle.

    (…)A ce moment, de deux choses l’une : soit le texte tombe sous le coup de la loi, et le droit s’en occupe ; soit la loi laisse dire, et il revient aux lecteurs de le questionner, critiquer, réfuter.

    Pour moi droit et loi sont bien deux choses différentes (ce que la phrase semble suggérer) : la loi découle du droit. Mais d’où vient le droit ?
    Le juriste répondrait « d’une montée continue de la sève morale », mais le citoyen ordinaire (que je suis) a tendance à répondre « de la loi », puisque nous laissons le droit consacrer une morale minimale et commune dans notre République.
    Et cette phrase

    La morale est un étage intermédiaire entre le pénal et la pensée

    ne m’éclaire pas plus, car le pénal induit ou découle de la morale.
    Il y a porosité. Ce n’est pas si clair, ce serait un plancher ou un plafond imbibé par des fuites d’un liquide sans consistance.
    Autrement dit : si on laisse le droit s’occuper d’un écrit, c’est qu’on laisse la morale du praticien judiciaire s’occuper de cet écrit ou qu’on délègue à la justice une morale bien administrative.
    Alors les points de puissance seront vite oubliés. Balayés.
    Doit-on donc dire

    LA littérature, LA société

    … LA justice ?
    Je ne sais pas, et c’est pour ça que je ne peux laisser le droit s’en occuper seul.

    • Et donc il vous restera à relire, et dire (dans un texte ou au café) si vous approuvez, ou réfutez, etc. C’est bien ce que je dis.
      Pendant ce temps la justice, si elle est saisie, établira si le livre tombe sous le coup de la loi (s’il est juridiquement raciste, ou un appel au meurtre, ou une apologie de la pédophilie)

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