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François Bégaudeau, un piéton – Partie 2
La suite du documentaire de Thibault ODIETTE dont le premier volet demeure disponible ici.
11 Commentaires
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Salut François moi je serais plutôt bref, j’aime les gros plan sur tes yeux, ils sont manignifique.
quelqu’un qui t’aime
S.
François,
Dans la vidéo, à un moment, tu dis qu’une scène de théâtre est peut-être ce qu’il y a de plus difficile à écrire, notamment à cause de l’unité de temps et de lieu, et parce qu’il faut essayer de faire vivre cette scène dans ces unités. J’ai trouvé cela étonnant, et en même temps il est très intéressant de se rendre compte de la difficulté pour un auteur d’écrire une œuvre se déroulant dans un cadre spatial et temporel étroit (de par les unités). Je ne lis pas beaucoup de pièces de théâtre, et, exceptées les pièces de théâtre classiques étudiées à l’école, je ne lis pratiquement pas de pièces de théâtre contemporaines, mais ce que tu dis dans la vidéo m’a fait penser à ta pièce de théâtre « Le Problème » qui se lit rapidement, dans le sens où, si l’on met de côté, dans un premier temps, les subtilités du style d’écriture, il ne semble pas nécessaire de la relire x fois pour en comprendre l’histoire. En tant que lectrice, je trouve que les pièces de théâtre se lisent plus rapidement (et donc apparemment plus facilement) qu’un roman, par exemple, parce que, ne serait-ce que par la forme (qui, lorsque l’on regarde une page de pièce de théâtre, paraît simple), le texte d’une pièce de théâtre semble moins dense, est plus aéré (notamment grâce aux répliques). Peut-être est-ce dû au fait que, quand on n’est pas vraiment familiarisé avec la lecture de pièces de théâtre, on prête moins attention aux descriptions et indications scéniques, ou à la précision d’écriture de certains dialogues. Dans « Le Problème », je pense par exemple à l’énumération des ingrédients de la salade dans l’ordre alphabétique (fêta, olives, salade, thon, riz, …). Je ne sais plus exactement si ça apparaissait dans un dialogue ou dans une indication scénique, mais ça m’a fait un peu penser à des tics ou des tocs.
D’autre part, sur le site Internet educ.theatre-contemporain.net, je suis tombée sur l’article élogieux ci-dessous de Arnaud Meunier (qui, me semble-t-il, a mis en scène « Le Problème »). A un moment, Arnaud meunier écrit « Le quotidien, le banal, l’anecdote, ce que Michel Vinaver nommerait le tout venant, sont la source majeure d’inspiration de François Bégaudeau. Il scrute la vie, son lieu de travail, l’actualité, nos contemporains : d’une certaine manière, le réel. » Je trouve que cette remarque sur ta captation du réel résume bien ton univers d’écriture et, en même temps, ça peut paraître étrange de prendre comme source d’inspiration le quotidien réel, donc la vie des gens purement et simplement, parce que beaucoup de gens se plaignent plutôt de leur vie routinière (et, au passage, je ne suis pas la dernière à pointer parfois la monotonie du quotidien) qui, à leurs yeux, présente peu d’intérêt pour devenir un sujet à exploiter, par exemple dans le cadre d’un roman. Le fait, pour certains écrivains comme toi, par exemple, d’exploiter tout simplement le réel en littérature, et de ne pas chercher, pour un roman par exemple, le thème extraordinaire, qui provoquera du suspens et tiendra à coup sûr le lecteur en haleine jusqu’à la fin du livre, est quelque chose qui me semble mis en avant dans le domaine de la littérature depuis assez récemment. Je pense qu’il existait peut-être, aux siècles précédents, des écrivains exploitant également le quotidien de leurs contemporains, mais il me semble que, jusqu’à présent, il était plutôt de coutume (de la part d’une majorité de critiques littéraires, par exemple) de mettre en avant les péripéties passionnantes d’une histoire, qui dépayserait le lecteur (aventures du héros se déroulant dans un cadre étranger à son quotidien, …). D’ailleurs, en cette rentrée littéraire, il y a des émissions littéraires qui différencient les écrivains s’attachant à l’histoire en elle-même, c’est-à-dire qui cherchent avant tout à raconter au lecteur une histoire qui le captivera, de ceux qui privilégient le style d’écriture. Il en était question hier à la Grande Librairie. Philippe Djian, à propos de son dernier livre, disait que, pour lui, le style d’écriture primait sur l’histoire en elle-même, et il pensait que le lecteur serait plus attentif à son style d’écriture qu’à l’équilibre de l’histoire. En face de lui se trouvait Christine Angot dont le nouveau roman, d’après ce que certains critiques littéraires en disent, produit sur le lecteur un effet « coup de poing » rien que par l’histoire en elle-même.
Voici le texte d’Arnaud Meunier :
François Bégaudeau : un « vinaverien » qui s’ignore
par Arnaud Meunier
Dès ma première lecture du Problème de François Bégaudeau, j’ai reconnu cette même musique entendue chez Michel Vinaver et Oriza Hirata, une musique que j’orchestre dans mon travail de metteur en scène depuis 2006 : l’air de l’ordinaire, du quotidien, de l’apparente banalité.
Annie, la quarantaine, rentre chez elle à la fin d’une journée de printemps et parle avec son mari et ses deux enfants de la lettre de rupture qu’elle leur a laissée le matin même. Et dans cette conversation d’une heure en temps réel qu’Annie s’efforce de maintenir hors du drame, sa fille Julie prépare à manger, son fils Adam démêle un devoir de philo, le téléphone sonne… Proposant ainsi un théâtre où le trivial de la vie fonde une matrice dramaturgique intrigante et déroutante. Fuyant le didactisme et proposant un espace actif au spectateur.
Le quotidien, le banal, l’anecdote, ce que Michel Vinaver nommerait le tout venant, sont la source majeure d’inspiration de François Bégaudeau. Il scrute la vie, son lieu de travail, l’actualité, nos contemporains : d’une certaine manière, le réel. Cette filiation artistique avec l’un de nos dramaturges les plus estimés m’est apparue immédiatement. Elle a d’ailleurs motivé la publication de la pièce en tapuscrit par Lucien et Micheline Attoun.
Comme chez Vinaver cette pièce est, avant tout, une partition. La structure du Problème se développe en duo, trio, quatuor, ménageant avec une précision extrême silences et temps forts. Dans une tonalité commune qui est celle de l’oralité, chaque personnage a un registre de langage propre, donnant un swing à la phrase, impulsant un corps d’acteur différent.
Bégaudeau est un amoureux de la phrase qui cisèle chaque ligne dans sa plus stricte économie. Et dès lors, comme dans la vie, une phrase aussi banale que « ben ouais mais bon » marque avec délicatesse l’effort du personnage pour retenir le drame familial, et marquer la cadence finale de la 1ère séquence de la pièce, qui aura réunit père/mère/fille/fils sur le plateau.
Le Problème, comme toutes les œuvres de Bégaudeau, décrit une recherche d’émancipation. La parole y circule à quatre pour que le départ de l’un pousse chacun vers sa propre vie, vers son autonomie.
Cet auteur aime de toute évidence les expériences artistiques à plusieurs. En amoureux (sincère et de longue date) du ballon rond, il aime le collectif, le partage, les relations basées sur la confiance. Je ne m’étonne donc pas que sa recherche croise aujourd’hui le chemin du théâtre, et le mien.
Merci Delphine, tu situes la question là où il est fertile de la situer
Comme dit par ailleurs (autre post hier mais je ne sais plus où), cette affaire de l’ordinaire est centrale (et d’actualité, puisque Pierre Rosanvallon lance une collection au Seuil qui demande à des écrivains de raconter des vies ordinaires)
Comme tu dis : « il était plutôt de coutume (de la part d’une majorité de critiques littéraires, par exemple) de mettre en avant les péripéties passionnantes d’une histoire, qui dépayserait le lecteur (aventures du héros se déroulant dans un cadre étranger à son quotidien, …). Beaucoup en sont encore là, ou en tout cas le diraient. Car factuellement l’ordinaire est aussi beaucoup suivi et salué -voir les succès littéraires de ces dernières années, par exemple le quai de Ouistreham.
On pourrait raconter la lente injection de l’ordinaire, du commun, du tout-venant, dans l’art et aussi dans les recherches historiques. Ça commence très tôt (voir en peinture ce qu’on dit de Caravage), avec sans doute une poussée forte à partir du dix-neuvième. En littérature ça passe bien sur par Flaubert (là dessus un livre comme La parole muette de Rancière serait précieux), Maupassant, etc, pour exploser au vingtième. En Histoire il faudrait voir ce que fait Arlette Farge depuis 40 ans : travailler sur le quotidien des gens à telle ou telle époque.
a suivre
merci pour cette partie 2:
http://www.youtube.com/watch?v=2ha4xvrVHu8
Pourquoi Thibault Odiette titre-t-il « François Bégaudeau, un piéton » ?
Est-ce si déterminant dans ta pratique d’écrivain ?
Je lui avais dit que Vers la douceur avait failli s’appeler Les piétons, alors voilà.
Piéton n’est pas déterminant dans ma pratique d’écrivain, si ce n’est qu’on pense pas mal en marchant (mais ça c’est vrai pour tout le monde), mais pas négligeable dans ma pratique de la vie tout court. Il n’est pas négligeable de ne pas etre motorisé à 41 ans, par exemple. D’où le premier chapitre de Vers la douceur, qui donnait en quelque sorte la structure englobante de ce qui allait suivre : une ville et des pieds.
Merci pour ta réponse éclairante.
C’est assez intéressant de t’entendre te relire et reprendre tes phrases. Je suis allée voir dans Au début ce que tu avais fini pas choisir pour la page 141.
Vous prenez grand soin de choisir les mots lorsque vous écrivez. En est-il de même à l’oral, comme dans cette vidéo par exemple, où l’oralité par sa fluidité intrinsèque est plus spontanée ?
l’oral par définition est moins pensé, pour le meilleur (vie, bordel) et le pire (approximations, comme souvent dans cette vidéo)
@François Bégaudeau:
La vidéo m’a semblé comprendre des mots bien réfléchis à moins qu’ils ne soient instinctifs, ça n’est pas incompatible. Tout dépend de ce que l’orateur souhaite révéler.
ça sort assez facilement parce que c’est du pré-pensé, mais sur ces sujets on n’est jamais assez précis, d’où mes réserves